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Critique de Xenosaga Episode 3

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Critique de Xenosaga Episode 3 Empty Critique de Xenosaga Episode 3

Message par Hyades Luine Mar 3 Fév - 11:52

Xenosaga Episode 3

Il y a des jeux qui marquent. Quitte à saborder tout effet de surprise, Xenosaga 3 en fait partie. Si j'osais, je dirais que c'est un monument. Pas seulement du RPG japonais, mais du jeu vidéo dans son ensemble. Le jeu a sa réputation bien sûr, héritée du style inimitable de son géniteur, Tetsuya Takahashi, déjà père du mythique Xenogears. La conclusion de la Xenosaga est-elle difficilement accessible ? Assurément. Bavarde ? C'est certain. Prétentieuse ? Peut-être bien un peu. Mais outre ces caricatures réductrices, n'a-t-on pas affaire à l'apothéose de la plus ambitieuse des épopées vidéoludiques, accompagnée d'un quasi-miracle quand on prend en compte toutes les errances qui ont présidé à son développement ? C'est mon opinion.

Xenosaga 3 étant avant tout une conclusion, résumer le début du jeu paraît une initiative un peu vaine. Ceux qui lanceront le jeu sauront très vraisemblablement ce dans quoi ils se lancent et à quoi ils doivent s'attendre, une grande part de l'intérêt et de la richesse de l'expérience Xenosaga venant de son côté... eh bien saga, justement. Le premier élément qui pose les bases de la narration de ce troisième épisode est certainement son introduction in medias res qui nous fait rapidement comprendre que pas mal de choses se sont passées depuis la fin de l'Episode 2. A vrai dire on a un peu l'impression qu'on a zappé un épisode entier, et on ne serait sans doute pas très loin de la réalité.

Il faut dire que Tetsuya Takahashi et développement chaotique, ça va souvent de pair. On ne va pas rappeler ici les aléas du développement de Xenogears et les bizarreries de son deuxième CD. Le vision d'origine de Xenosaga était d'une ambition colossale : sortir six jeux, à raison d'un par an. Le projet était intenable et n'a donc pas tenu. Xenosaga 2 a de plus fait les frais de bisbilles entre éditeur et développeur pour un résultat qui a fortement déçu les joueurs et n'a donc pas vraiment assuré la pérennité de la série. Le troisième épisode, c'est donc le dernier, celui de la dernière chance, celui dans lequel Monolith a dû remâcher et condenser trois à quatre épisodes en une seule conclusion cohérente qui répondrait au maquis presque insondable des innombrables questions laissées en suspens par le début de la série. La tâche était herculéenne, et autant dire que ça et là on voit les coutures : on sent que des éléments manquent ou ont été expédiés trop vite. On peut même déceler assez facilement les grandes transitions entre ce qu'auraient dû être deux jeux différents, voir deux DVDs du même jeu. Mais compte tenu des contraintes, on ne peut qu'être admiratif du résultat obtenu par les équipes de Monolith.

En toute logique, Also Sprach Zarathustra est donc une œuvre d'une densité phénoménale. Dans ces conditions, le retour de la base du données du premier épisode était une nécessité, voire un pis-aller pour donner au joueur occidental les clés de compréhension indispensables contenues dans des médias annexes disponibles uniquement au Japon. C'est le cas notamment des animations en Flash A Missing Year qui développent le Terrorisme Gnosis qui fait le lien entre les deuxième et troisième épisodes, ou du jeu portable Pied Piper qui approfondit grandement l'histoire de Ziggy - cette dernière est d'ailleurs malheureusement la grande sacrifiée de Xenosaga. Chacun pensera ce qu'il voudra de la nécessité d'intégrer un média aussi non-ludique qu'une encyclopédie à un jeu pour comprendre les enjeux de sa trame, mais nul doute que cette colossale base de données est indispensable pour aborder le foisonnement scénaristique de la Xenosaga.

Car c'est une impressionnante profusion de références culturelles, historiques, mystiques et scientifiques revues à la sauce Xeno qui fait une bonne partie du charme de l’œuvre de Takahashi et qui constitue le socle incontestable du scénario du jeu. Certains n'ont d'ailleurs pas manqué d'accuser la démarche d'être prétentieuse et d'abuser d'une imagerie religieuse gratuite, des critiques le plus souvent assénées sans démontrer une énorme compréhension autant des enjeux de l'univers de Takahashi que du matériau qui lui a servi de base. Même si le créateur de la Xenosaga ne le fait pas toujours avec une grande finesse, il est indéniable qu'il a un vrai talent pour jongler avec d'innombrables référents culturels et les utiliser à bon escient pour servir son propos. Ce foisonnement est un des éléments incontournables de la richesse des univers qui se réclament de la "touche" Xeno. Mais il n'est pas non plus le seul...

En effet, réduire la série de Monolith à un simple alignement de références obscures et complexes serait grandement réducteur. Si Monolith a redoublé d'efforts pour construire méticuleusement un tel univers de science-fiction, c'est pour le peupler d'une galerie de personnages qui constituent à mon sens le cœur et l'âme de la série. En effet, si on oublie un instant les grands principes inspirés par le gnosticisme et la philosophie nietzschéenne, Xenosaga est avant tout une grande épopée de space-opéra, entretenue par la lutte entre individus, entre factions, entre philosophies... A vrai dire, on peut certainement prendre un pied monstrueux à faire la série sans chercher à comprendre ses grands principes métaphysiques.

Chacun des personnages, amis comme ennemis, voit ici la conclusion d'une évolution personnelle très riche qui aura déjà bien commencé pendant les deux premiers épisodes. A la fin d'Also Sprach Zarathustra, chacun aura fait face à son destin pour le meilleur et pour le pire, souvent avec panache et non sans convoquer quelques émotions chez le joueur. La fin du jeu offre ainsi un sentiment de clôture tout en ouvrant de nouveaux horizons et de nouveaux défis aux survivants du casting. Une manière de continuer à faire vivre les personnages dans l'esprit du joueur tout en répondant à une très grande majorité des innombrables questions posées pendant près d'une centaine d'heures de jeu en cumulant les trois épisodes.

Si Xenosaga 3 assume et gère avec brio son foisonnement narratif, il a aussi le bon goût de simplifier le gameplay inbuvable du deuxième épisode. Premier bon point, les combats sont plus courts. Plus besoin de passer un minimum de dix minutes sur chaque malheureux groupe de mobs. Les quantités de HPs des adversaires redeviennent raisonnables, et ça se sent. Même si le jeu retombe un peu dans les travers de son grand frère sur la fin, la majorité d'Also Sprach Zarathustra est ainsi bien plus agréable à jouer.

Deuxième bon point, le système de Boost revient inchangé et le système de Break a été grandement simplifié. Une jauge remplace maintenant les enchaînements d'attaques aux propriétés obscures et l'accumulation autiste de points de Stock. Une fois que cette dernière est pleine, l'ennemi (ou le personnage de l'équipe), ne peut plus agir pendant trois tours et mange coup critique sur coup critique. Il s'agit là d'une alternative qui offre de la richesse stratégique aux combats : il faut savoir jongler entre attaques classiques et attaques de Break au bon moment, tout en prenant aussi garde aux deux niveaux de santé des personnages de son équipe.

Troisième bon point, le système d'évolution se fait lui aussi plus digeste. On dira adieu sans trop de regrets à l'accumulation ubuesque de Skills et d'Ethers du deuxième épisode. De toutes façons, même en étant généreux, on ne savait pas bien à quoi servaient les trois quarts d'entre eux. Ici les choses sont simples : chaque personnages a accès à deux arbres de progression correspondant chacun à un rôle en combat, des classiques tank et healer aux variations qui trouvent leur sens dans le gameplay du jeu - par exemple, l'attaquant qui se spécialise dans les dégâts de Break. Dans chaque arbre de progression sont mélangés des augmentations de caractéristiques, des Ethers et des Techs appropriés pour chaque rôle. Chaque personnage a donc une utilité bien définie en combat, tout en gardant une marge de personnalisation : trouver certains objets cachés dans les donjons permet en effet aux membres de l'équipe d'apprendre des compétences "hors cursus". Xenosaga 3 réussit donc à effacer toute la complexité inutile de son prédécesseur tout en offrant un système de combat efficace et stratégique. Même les coups spéciaux spectaculaires du premier épisode reviennent par le biais d'attaques stylées qui consomment des unités de Boost mais qui offrent un bonus d'XP, de points de compétences et d'argent si elles sont utilisées pour achever un ennemi.

Mais la grande réussite du gameplay de l'Episode 3, ce sont incontestablement les combats en méchas. Le sentiment de puissance qui se dégage des phases de pilotages d'ES est grisant, et ce en grande partie grâce à leur mise en scène. Les robots géants virevoltent, assènent des grands coups de vibrolames, larguent des volées de missiles, enchaînent des combos, explosent dans de grandes gerbes de flammes et de tôle froissée... On retrouve ici les coups spéciaux qui font des tonnes de dégâts et le tout est mis en valeur par une interface futuriste du meilleur goût. Bref, l'ambiance est totale. Ici, pas de progression par l'apprentissage : non, on customise. On change de blindage pour augmenter les HPs, on installe un réacteur plus puissant qui donne accès à plus d'énergie, on modifie la programmation de son ordinateur de bord pour se prémunir de certains types d'attaque ou bénéficier d'effets bénéfiques, on adapte sa sélection d'armes en fonction de la consommation et de la puissance de chacune... Bref, on fait des trucs cools.

Quitte à faire injure à Final Fantasy XII, Xenosaga 3 est sans doute aussi un des plus beaux jeux de la ludothèque PlayStation 2. Peut-être pas d'un point de vue technique (quoique...), mais assurément d'un point de vue esthétique. Les personnages ont de la gueule. Les méchas et vaisseaux aux lignes futuristes sont designés avec bon goût. Les nombreuses cinématiques d'action (eh, c'est un Xenosaga) sont mises en scène avec un souffle épique qui ne se dément jamais, qu'il s'agisse d'une bataille spatiale ou d'une course-poursuite en milieu futuriste (quitte à parfois faire cracher quelques-unes de ses tripes à la console). Mais ce sont surtout les décors qui impressionnent.

Les décors, et aussi - surtout - un génie de la présentation. J'ai toujours ressenti que le passage du RPG à la full 3D avait fortement amoindri l'impact des univers en laissant le contrôle de la caméra entre les mains du joueur. Il n'y a plus "d’œil" qui mette en valeur un panorama ou qui souligne l'importance d'une structure. Pas de ça avec Xenosaga. Monolith cadre et tire le meilleur de ses angles de vue. C'est sans doute Also Sprach Zarathustra qui a pleinement développé les jeux d'échelles et de perspectives sur lesquels se basera Xenoblade Chronicles.

Il faut dire que l'équipe de Takahashi joue avec les échelles depuis Xenogears. L'apparition d'un contraste entre une échelle micro et une échelle macro doit venir assez naturellement quand on inclue des robots géants à ses jeux. La plupart des donjons se visite à deux niveaux différents, à mesure que l'on quitte ou que l'on réintègre son mécha, et abuse des effets de plongée pour souligner encore le gigantisme des lieux. Cette alternance sert aussi la richesse du gameplay des phases d'exploration en proposant des puzzles qui entremêlent les interventions des humains et celles des châssis de combat. On retrouve aussi ce jeu d'échelles dès qu'on entre dans une ville : les maps fourmillent de détails qui reproduisent avec une minutie pointilliste les lieux que l'on va visiter ou que l'on a visité à l'échelle humaine, parfois un ou deux épisodes plus tôt. Ce travail de construction d'un cadre général, qui remet en contexte des lieux qui sont autant de pièces éparses d'un grand puzzle, permet à Monolith de bâtir la cohérence et la vraisemblance de son univers.

Et Monolith présente cet univers avec un amour et un souci du détail presque palpables. Also Sprach Zarathustra, c'est l'immersion totale dans un univers de space-opéra avec tout ce que cela suggère de villes immenses, de profondeurs spatiales et d'installations technologiques. Dès que notre groupe de personnages arrive dans un décor futuriste, on pourrait même parler de technopornographie tant la débauche de machines de pointe qui s'activent et s'assemblent a quelque chose de presque indécent. A noter que dans certains beaux passages, Xenosaga 3 n'hésite pas non plus à offrir la variété rafraichissante d'une forêt luxuriante ou d'un complexe de ruines mystérieuses. Cette profusion de détails contribue également à la narration : Monolith nous raconte son univers plus ou moins directement à l'aide de mille et un petits éléments de décor, que ces derniers soient interactifs ou non. C'est aussi ici que les jeux de perspectives cités un peu plus haut interviennent.

Ce troisième épisode arrive à exploiter et à mettre en valeur les décors, horizons et arrière-plans comme rarement, allant jusqu'à en faire des composantes actives et indispensables de la narration. Il suffit au jeu d'un changement d'angle de vue ou d'un traveling pour inspirer des émotions au joueur, installer une atmosphère ou révéler une information capitale. Sur ce point, le troisième épisode s'appuie beaucoup sur les lieux présentés dans les deux jeux qui l'ont précédé et renforce encore un peu plus la continuité de la saga en construisant un lexique architectural qui s'auto-référence sans cesse, chaque lieu majeur ayant acquis au fil des épisodes un sens et une résonance. Il suffit par exemple qu'un bâtiment au traits connus apparaisse au détour d'un angle de caméra dans un arrière-plan pour qu'on découvre sur quelle planète inconnue notre groupe a été projeté. Et il n'est d'ailleurs pas rare qu'un lieu redécouvert sous un nouvel angle révèle par la même occasion son lot de nouveaux secrets. De la même manière, quand un lieu qu'on visité et revisité dans les deux premiers épisodes devient un champ de bataille, c'est la familiarité née de plusieurs dizaines d'heures de jeu qui donne autant de poids à l'horreur des événements. Ces petits moments de grâce sont fréquents dans Also Sprach Zarathustra.

L'Episode 3 permettra aussi à Yuki Kajiura de prendre son envol après avoir été cantonnée aux scènes cinématiques dans l'Episode 2. Sa musique est véritablement magistrale, multipliant les styles (jazzy, électronique, symphonique) comme les ambiances (mystique, épique, sentimentale). La compositrice semble douée dans tous les domaines, avec une dimension vocale primordiale et omniprésente en guise de fil directeur éthéré. Là encore, le travail sur la continuité est total : des "fils musicaux" tissés au gré des épisodes renvoient à des événements-clés du passé, chaque nouvelle variation d'une piste apportant ses nuances particulières en termes d'ambiance ou d'émotion. Ainsi, des touches de Song of Nephilim (hérité de la partition de Yasunori Mitsuda pour le premier épisode) parsemées çà et là peuvent rappeler la menace Gnosis aux bons souvenirs du joueur, comme une nouvelle version ambiante d'Assault (issue de l'OST de Jenseits Von Gut und Böse) souligne avec talent l'inexorabilité d'un conflit dans lequel les personnages sont plongés bien malgré eux.

Alors que j'écris ces lignes, nous sommes en 2015. Aujourd'hui, le paysage du RPG nippon évoque un champ de ruines stérile et dévasté d'où émergent quelques Tales of sans grande profondeur. Les gros éditeurs d'antan se sont définitivement perdus, naviguant à vue entre ouverture à l'Occident et tapinage du côté des smartphones. Quelques trop rares perles continuent à sortir, mais on peut se demander où est passé cet espace d'expression et d'évasion d'une vivacité incroyable qu'a été le RPG japonais. Une partie se retrouve sans doute chez les indés. En rejouant à Xenosaga 3 presque dix ans (déjà...) après sa sortie, je ne peux m'empêcher de me dire que notre média manque cruellement d'une voix japonaise qui évoquerait elle aussi la politique, la religion et la philosophie ou qui nous ferait partager le destin et les interrogations de personnages d'une grande humanité. Et tout ça en proposant un gameplay de qualité pour ne rien gâcher. Toutes ces choses, Xenosaga 3 nous les offre avec générosité. Je vous le disais : ce jeu est un monument, d'autant plus précieux pour notre patrimoine vidéoludique qu'on semble en avoir définitivement perdu le moule.

Hyades Luine

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Date d'inscription : 06/07/2014

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